Divertissement exotique ou troisième voie capable de dépasser le dilemme cours de morale ou cours de religion ?
"C'est quoi cette meuf" entend-t-on parfois dans la bouche d'ados confrontés à l'une ou l'autre représentation de la Vierge.
Sans être aussi toujours caricaturale, l'absence de culture religieuse laisse démuni face à la "Crucifixion" du Tintoret, au "Don Juan" de Mozart, au "Booz endormi" d'Hugo ou même à certaines oeuvres postmodernes.
Si on ajoute à cela que, dans une société en perte de repères, on n'en finit pas de s'interroger sur le sens de l'existence, on comprend qu'un cours de religion, plutôt d'histoire des religions, soit primordial. Ceci pas seulement pour cause d'actualité religieuse traumatisante.
Aujourd'hui, de plus en plus de parents en veulent davantage. instituteurs zélés, professions libérales ou indépendants surdiplômés, ils sont nombreux à en appeler à la création d'un cours de bouddhisme en secondaire.
Les motifs sont aussi nombreux que variés.
Pour Marc, photographe de mode de 38 ans, pourtant de son propre aveu peu préoccupé par le programme scolaire de ses enfants, il s'agirait d'un plus :
"J'avoue ne pas avoir de vision claire d'un programme idéal. Cela dit, je pense que tout ce qui peut contribuer à élargir nos horizons est le bienvenu. Le bouddhisme fait partie de ces choses que je connais mal mais dont j'aurais rêvé qu'on me parle à l'école. Rien de plus intéressant que de frotter nos certitudes aux autres savoirs qui ont émergé dans le monde".
Même chose pour Jean-Pierre, un commerçant de 52 ans, pour qui le bouddhisme est une ouverture magnifique sur plusieurs pays d'Asie.
"J'ai beaucoup voyagé par là, j'en suis revenu impressionné. Le bouddhisme thaï est quelque chose d'extraordinaire. Je n'ai pas eu besoin de théorie pour le comprendre, je me suis contenté d'observer les gens. Il y a là-bas une vraie sagesse qui nous fait défaut. Sensibiliser les adolescents à cela ne peut être que positif".
"Et pourquoi seulement les adolescents ?" questionne Carla, 40 ans, kiné.
"Ma fille de 7 ans adore l'histoire du jeune Siddharta, le nom du bouddha quand il était petit. Je l'ai amenée au Centre tibétain de Saint-Gilles, où l'on pratique les différents rituels du bouddhisme. De la compassion à l'impermanence, sa philosophie est une véritable boîte à outils, utile quel que soit l'âge. Et surtout elle est porteuse d'humanisme, ce qui manque cruellement, à mes yeux, à l'enseignement prodigué par l'école communale de ma fille".
Si la vision de Carla est assez intuitive, d'autres parents en ont fait un cheval de bataille. Pour eux, le bouddhisme n'est pas un simple divertissement teinté d'exotisme, il s'agit d'une philosophie à part entière permettant de se tracer un chemin dans l'existence.
Claire, 42 ans, est de ceux-là. Très intéressée par le bouddhisme sans se considérer comme bouddhiste, cette prof dans le secondaire se dit prête à faire du lobbying pour une telle cause.
"Tout comme pour les religions catholiques, juive et musulmane, j'estime que les élèves du secondaire devraient avoir le choix d'un cours de bouddhisme. Ce serait nécessaire dans une société qui échoue à les orienter dans un espace-temps. Aujourd'hui, chez les jeunes, il n'y en a plus que pour la communication et la consommation. Il faut d'urgence briser ce cercle vicieux. Regardez ce qui peut se produire au nom d'un simple lecteur MP3... Dans une réalité où l'on est confronté un jour à une vérité et le lendemain à son contraire, il est essentiel d'ancrer les enfants. De les pousser à réfléchir par eux-mêmes. C'est pour moi le plus grand défi de notre civilisation".
Il n'y a pas que Claire pour croire que le bouddhisme peut faire retrouver un sens perdu à la jeunesse. Benoît aussi y croit dur comme fer. Chaque jour, il prend le temps d'enseigner les bases de ce qu'il considère comme une philosophie à ses 2 filles.
"Depuis qu'elles ont 6 ans, je leur donne une espèce de cours. Je fais ça sous forme de discussion. C'est plus en accord avec l'essence même du bouddhisme. Pour moi, le bouddhisme n'est pas une religion. Il n'y a pas de dogme, pas de prétention à l'absolu et rien ne doit être cru aveuglément. C'est la plus belle occasion qui soit donnée à l'homme d'entrer enfin dans l'âge adulte. Je me doute bien qu'il y aura des tas de gens pour contester cela en arguant que le bouddhisme est trop éloigné de notre culture. C'est on ne peut plus faux. Cette façon de penser le monde est née en Inde mais elle s'est exportée dans le reste de l'Asie, à travers des pays de cultures différentes. On peut penser notre société avec les clés du bouddhisme".
Bonne nouvelle pour les fans de bouddha et pour tous ceux qui aspirent à une reconnaissance du bouddhisme au sein de l'enseignement secondaire. Ils ont été entendu et compris.
Depuis 2 ans, l'Union bouddhique belge (UBB), sorte de fédération nationale qui regroupe les associations bouddhistes du pays, a planché sur l'opportunité d'une reconnaissance du bouddhisme par les autorités du pays.
"Ce travail, nous l'avons fait sous la pression grandissante de nombreux Belges auprès desquels le bouddhisme jouit d'une grande popularité mais également en vertu du principe qui consiste à ce que toutes les traditions soient mises sur un pied d'égalité" explique Frans Goetghebeur, président de l'UBB.
Après avoir consulté les différents partis au nord et au sud du pays, l'UBB a introduit un dossier en bonne et due forme.
"Vu la réaction positive des différents partis, la question d'un cours de bouddhisme est aujourd'hui en bonne voie. On peut logiquement s'attendre à ce qu'il y ait un projet de loi dans quelques trimestres" analyse celui qui dirige également l'Institut tibétain de Huy.
Quand on l'interroge pour savoir ce que pourrait apporter le bouddhisme aux élèves du secondaire, Frans Goetghebeur se veut prudent. Conforme à la sagesse orientale qu'il a adopée, il se défent d'avoir une solution à tous les problèmes et insiste sur sa volonté de ne pas entrer dans un match de boxe spirituel avec les autres religions.
Il détaille : "Dans le contexte des jeunes, 3 points me semblent intéressants dans le bouddhisme.
Le premier est relatif au fait qu'une grande autonomie est accordée à l'individu. Chacun est l'architecte de son destin. Le karma n'est pas autre chose que le lien entre une cause et une conséquence. "Si je fais ceci, j'obtiens cela" est un excellent début pour prendre son existence en main.
Ce pragmatisme séduit les jeunes.
Le second point tient à l'absence de tradition normative dans le bouddhisme, qui est une série de conseils.
À l'heure où l'on constate l'échec de la pédagogie autoritaire, cela fait plus que sens.
Dernier élément, la redécouverte des vertus de simplicité me semble capitale. Des mots qu'on n'ose plus prononcer dans les cours de morale, tels que gentillesse, non-violence ou patience, sont remis à l'honneur".
Reste que, pour Frans Goetghebeur, tous les problèmes ne sont pas résolus. Qui pourra enseigner et comment ?
Les 2 questions méritent réflexion.
"Il y a un vrai début au sein de l'Union bouddhique belge. Pour être caricatural, le bouddhisme doit-il être enseigné par quelqu'un qui connaît l'histoire et 25 siècles de yogis sur le bout des doigts ou par quelqu'un qui pratique la méditation ?
"En France, pays de tradition républicaine, la réponse consiste en une exposition froide et objective du fait religieux. Je ne pense pas que ce soit la solution en Belgique. Chez nous, les gens ont besoin que le bouddhisme s'inscrive dans un discours chaleureux et vécu".
Article rédigé par : Charles Beaton" et publié dans"Elle Belgique" - juin 2006
NB : la photo qui illustre cet article est indépendante du journal qui a édité cet article.