C’est le bouddhisme Zen qui a été le plus loin dans l’usage abrupt du paradoxe avec le procédé des koans.
Le koan est une courte histoire, ou une phrase brève transmise dans une relation de maître à disciple dans la tradition Rinzai.
D’autres courants du bouddhisme zen, comme la tradition Soto préfèrent la pratique de la méditation assise et se méfient de l’usage des koans, qui risque de se pervertir en jeu d’esprit s’ils ne sont pas correctement utilisés.
Il faut savoir que le mot Zen lui-même est une dérivation de dhyana, la méditation en sanskrit et que l’optique du Zen a été de tirer le bouddhisme dans la direction de l’expérience directe de la Vacuité.
L’usage du koan requiert de la part du disciple une solide assise psychologique, une maturité capable de rencontrer de manière abrupte l’ultime Réalité. Il ne s’agit pas de monter une plaisanterie ou de jouer avec une énigme, mais de provoquer une situation telle que la logique duelle habituelle du mental soit tout d’un coup mise entre parenthèses.
Le koan n’est pas non plus un aphorisme sensé rassembler une sagesse millénaire. Même quand il a donné lieu a commentaire, ce qui importe, ce n’est pas de l’expliquer, mais d’ouvrir la voie d’une expérience personnelle. L’optique du Zen est toujours de refuser la voie d’une spéculation. Ne pas alimenter le mental, l’arrêter net dans une ouverture à l’indicible. Plus expression d’une métapoésie, que d’une métaphysique. Couper court l’usage du mental discursif pour basculer dans une intuitif.
Quelques exemples :
-"Quel est le son d'un applaudissement fait d'une seule main ?"
-"Le chien est-il de la nature de bouddha?"
-"Je le rencontre mais ne sait qui il est, Je m'entretiens avec lui mais j'ignore son nom.
Là où ni lune ni soleil n'atteignent. Là, en vérité, quel merveilleux paysages !"
-"Lorsqu'il n'y a plus rien à faire, que faites-vous ?"
-"Le bambou existe au-dessus et en-dessous de son nœud"
-"Un moine vint voir Fuketsu et lui demanda : -Sans parler, et sans rester silencieux, comment puis-je exprimer la Vérité ? Fuketsu répondit : - Je me souviens des printemps du sud de la Chine... Les oiseaux chantaient au milieu d'immenses champs de fleurs parfumées".
"Lorsque vous ne pratiquez pas le Zen les rivières sont des rivières et les montagnes sont des montagnes. Lorsque vous pratiquez le zen les rivières ne sont plus des rivières et les montagnes ne sont plus des montagnes. Lorsque vous réalisez le zen les rivières redeviennent des rivières et les montagnes redeviennent des montagnes".
Placé dans une situation pareille, le mental est mis en suspend et pourtant, ce qui est, est. Dans ce silence, quelque chose comme une étincelle de l’intelligence peut s’allumer.
L’esprit ne peut plus dire oui/non, ni entrer dans les séries de dualité comme affirmation/négation, transcendant/immanent, absolu/relatif etc.
Par delà l’affirmation et la négation, par delà la contradiction peut se produire la percée du dépassement de la logique de la dualité sujet/objet ; percée qui plonge immédiatement la conscience dans Cela, qui enveloppe les opposés et les transcende à la fois.
La pensée tend à sans cesse à surimposer à l’Etre une dualité fictive qui est une invention de son propre cru. La placer dans un paradoxe arrête son mouvement. Elle est un instant une intelligence sans concept. C’est dans cet espace sans concept que surgit l’insight, la vision pénétrante.
La méditation, le travail sur le corps et le souffle, apaisent les constructions mentales et préparent l’infusion du silence. Mais le jnana-yoga, le yoga de la connaissance, se passe de préparation et entend aller droit au but. Il s’adresse à un chercheur à l’intelligence déliée et cultivée. Il opère une désobstruction en utilisant les armes du mental contre le mental.
D’où ce goût immodéré du paradoxe dans toutes les formes de jnana-yoga. Aurobindo ne le pratique dans Aperçus et Pensées. Nisargadatta Maharaj, dans les entretiens publiés dans le volume Je suis, allie une extraordinaire puissance descriptive à des raccourcis souvent saisissants.