Article du Nouvel Obs sur la succession du Dalaï lama
jeudi 29 novembre 2007 par Redaction Tibet Info (JMB)
Pourquoi le Dalaï Lama soulève-t-il maintenant la question de sa succession ?
- Il y a plusieurs raisons. La première tient à son âge : le Dalaï Lama a 72 ans et la question de sa succession va par conséquent se poser de manière de plus en plus critique. D’autre
part, le sixième tour des pourparlers avec la Chine n’a rien donné. Le choix de renoncer à revendiquer l’indépendance, d’ouvrir des discussions avec la Chine s’est donc révélé vain.
Ce qui laisse penser que la Chine attend que le Dalaï Lama meure, espérant que le problème tibétain s’éteindra avec lui. Les
autorités chinoises viennent d’ailleurs de faire passer une loi qui instaure l’obligation, pour toutes les réincarnations, d’être validées par le gouvernement chinois. Cette loi, qui vise bien
entendu en premier lieu la réincarnation du Dalaï Lama, permettra aux Chinois, à la mort du leader tibétain, d’installer à Lhassa une réincarnation sous leur entière domination. Le Dalaï
Lama veut donc régler ce problème avant sa mort, pour couper l’herbe sous le pied de la Chine.
Le Dalaï Lama a évoqué l’éventualité d’élections, organisées de son vivant, pour désigner son successeur. Comment un tel scénario peut-il s’articuler avec le
principe de la réincarnation ?
- Il s’agirait, selon l’une des hypothèses qu’il a évoquées, d‘élire son successeur sur le modèle de l’élection du pape, par un collège de grands lamas. Depuis son départ en exil en 1959, le
Dalaï Lama a poussé les Tibétains exilés vers plus d’ouverture et de démocratie. Il a ainsi mis en place un parlement, un gouvernement et un premier ministre élus. Lui-même n’est qu’un
"super-conseiller" de ce gouvernement. Choisir la voie des élections pour désigner son successeur, c’est aller encore plus dans le sens de la démocratisation des institutions. Et ce serait
moins absurde que le scénario qui laisserait au Parti communiste chinois le soin de désigner la réincarnation du Dalaï Lama.
Dans cet esprit de modernité, le guide suprême des Tibétains a même évoqué la possibilité que l’institution des Dalaï Lama s’arrête avec
lui. Selon la doctrine, le Dalaï Lama peut décider quand il meurt et s’il se réincarne et où. S’il conclut que cette institution ne rend plus service aux
Tibétains, il peut choisir d’y mettre un terme sans se réincarner. Mais son entourage et de nombreux fidèles lui demandent de la perpétuer arguant d’une part qu’ils ont besoin d’un
"boddhisattva", d’une guide spirituel qui montre la voie, et que d’autre part il est indispensable aux Tibétains exilés et à la cause du Tibet.
Mais tous les Tibétains savent que cette institution du Dalaï Lama présente aussi des inconvénients. Chaque réincarnation ouvre une période
de vacance d’une vingtaine d’années, avant que le nouveau guide suprême soit en âge de prendre ses fonctions. C’est alors un régent qui dirige le Tibet et c’est donc une période où le pouvoir
est fragile.
Par exemple, la transition entre le 13ème et le 14ème Dalaï Lama a représenté un moment difficile pour le Tibet et, selon certains historiens, a contribué à l’incapacité des responsables de
l’époque à défendre l’indépendance du pays.
Le Dalaï Lama a déclaré que son successeur serait issu de la communauté tibétaine en exil. Sait-on qui pourrait être ce successeur ?
- Le Dalaï Lama a précisé que son successeur serait choisi "hors du Tibet" si lui-même mourait en exil, sans préciser qu’il serait issu de la communauté
tibétaine. Il dit souvent aussi, en riant, qu’il pourrait se réincarner en femme. Dans les deux cas, ce serait sûrement un grand choc pour les Tibétains. En
fait, tout le monde pense à Dharamsala, siège du gouvernement tibétain en exil en Inde, que le Dalaï Lama veut donner au jeune Karmapa, âgé d’une vingtaine d’années, le rôle de prochain leader
politique du Tibet. Le 17ème Karmapa, qui est né au Tibet puis s’est enfui en Inde, a l’avantage d’être une très grande réincarnation, presque aussi importante que le Dalaï Lama. Il est
le chef de l’ordre des Karma Kagyu, l’une des quatre écoles du bouddhisme tibétain. Or, historiquement, c’est à cette école que revenait le rôle de leader du Tibet, avant qu’il ne passe aux
mains de l’école des Gelugpa, à laquelle appartient le Dalaï Lama. Autre avantage de taille, le Karmapa a été reconnu par le Dalaï Lama mais aussi par la Chine, à
un moment où les tensions étaient moins fortes entre les Chinois et les Tibétains. Tout le monde s’accorde sur le fait que le Karmapa est destiné à un grand avenir. Il pourrait être à
même de porter sur ses épaules le destin de la cause tibétaine comme le fait aujourd’hui le Dalaï Lama.
Source : Le Nouvel
Obs. Interview d’Ursula Gauthier par Sarah Halifa-Legrand, mardi 27 novembre 2007
Voir également cet autre article du Nouvel Obs : Le Dalaï Lama prépare sa succession
NB Plusieurs lecteurs nous ont rappelé la controverse sur la réincarnation du Karmapa. Cet article étant une citation du Nouvel Obs, il n’y a pas lieu de revenir ici à ce problème qui est de
l’ordre du religieux, Tibet Info se positionnant plus sur le domaine des Droits de l’homme et du politique.